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A LA DECOUVERTE DE L'IMAGINAIRE D' AGATHE VERSCHAFFEL, PEINTRE HYPEREALISTE

 

LA JEUNE FEMME AU TURBAN GRIS ET AU REGARD NOIR 

CALAIS. Agathe Verschaffel, la jeune femme au turban gris et au regard noir, peint depuis vingt un ans. Il faut dire qu'elle a commencé à peindre à l'âge de sept ans et que depuis elle n'a jamais arrêté. Autodidacte elle a commencé par reproduire les tableaux des maîtres de la peinture. Elle a d'ailleurs gardé une photographie de sa copie des Tournesols de Van Gogh. Elle a peint à l'huile des poules à remplir un poulailler, des fleurs à décorer plusieurs jardins, des têtes de chiens et chats à mobiliser un chenil! Elle a peint, tout et partout, même dans la caravane de sa mère saisonnière près de Chartres. Elle avait dix-huit ans lors de sa première exposition à Vendôme. A l'âge de vingt ans elle reviendra à Calais qu'elle avait quitté, avec sa mère, à l'âge de douze ans après y avoir fréquenté l'Ecole des Beaux-Arts. L'hyperréalisme va, dès lors, devenir son mode d'expression qu'elle exposera dés 2006. Son travail acharné sera présenté dans de nombreuses expositions et accédera à la notoriété avec le passage, en fin d'année 2010, à la galerie Image de Fer, rue de Seine à Paris. Elle y a présenté une trentaine d'oeuvres dont certaines ont nécessité une centaine d'heures de travail. Ses peintures sont désormais appréciées par un large public allant de la jeunesse à l'âge mûr et de la Côte d'Opale à la France entière et à la Suisse. 

 

 

CECI N'EST PAS UNE PHOTO 

Pour l'enseigne de sa Galerie-Atelier ouverte à Calais en Avril 2011 au 42 rue du Duc de Guise à l'angle de la rue Devot, Agathe Verschaffel a choisi de paraphraser le titre d'une toile célèbre du peintre surréaliste Magritte. En 1929 celui-ci a, en effet, représenté une pipe peinte de la façon la plus reconnaissable avec ce titre Ceci n'est pas une pipe tracé à même le tableau. Toute oeuvre peinte se présente pour nous comme l'association d'une image sur une toile et d'un titre fut-il vide et en attente telle une énigme. Entre ces deux pôles circule le sens que veulent donner l'artiste ou le spectateur. Si ressemblante que soit l'image de la pipe, il suffira d'approcher une pipe réelle (mais éteinte!) de la toile pour qu'éclatent les différences. René Magritte est aussi retrouvé dans la constellation de ses références en peinture mais pour le bleu et noir. Il y est accompagné de Pierre Soulages pour le noir, de Jackson Pollock pour l'expressionisme abstrait, de Victor Vasarely pour l'Op art, d'Enki Bilal et Frank Miller pour le blanc et noir de la BD. 

 

 

DE L'OMBRE A L'HYPERREALISME 

L'ombre. Depuis l'antiquité l'ombre a toujours été considérée comme étant à l'origine de la peinture sans cependant réduire celle-ci à la seule trace du contour des ombres projetées par les corps exposés au rayonnement solaire. Jusque XVIII ème siècle et l'encyclopédiste Diderot, la peinture, comme tous les arts, relevait de la mimésis platonicienne et était appréciée pour sa grande ressemblance avec les objets qu'elle était censée imiter. Peints par le grec Zeuxis, les grains de raisins que venaient picorer les oiseaux furent le sommet de cette mimésis ! Celle –ci était liée au désir immémorial de l'homme d'arrêter le cours du temps, de figer pour sa commémoration les traits d'un visage, d'un paysage, d'une bataille (de préférence) victorieuse. Toutes ces images avaient au moins en commun, le fait d'être compétitives avec le réel dans un secret désir d'égaler et même de surpasser, pour les moins modestes, la faculté du miroir à en donner une représentation fidèle. Pascal, toujours laconique dans ses Pensées, n'était cependant pas dupe en ajoutant "quelle vanité que la peinture qui attire l'admiration par la ressemblance des choses dont on n'admire point les originaux" 

La Photographie. Au milieu du XIX ème siècle les problèmes de rivalité de la peinture ne se poseront plus par rapport au réel mais par rapport à la redoutable alternative de la photographie naissante. "L'écriture avec la lumière" de celle-ci bouleversera "l'écriture avec l'ombre" de celle-là pour le portrait et les paysages. Devant les premières photographies le reflexe quasi unanime des commentateurs fut d'annoncer la fin de la peinture visant à une représentation fidèle de la réalité. Avec l'objectif de l'appareil photographique nous tenions enfin l'objectivité absolue des miroirs et l'impartialité d'une image s'inscrivant d'elle-même sur un support par le seul biais du rayonnement lumineux. La peinture sera alors de plus en plus considérée comme un art indépendant et à part entière, valant par sa beauté propre et non plus par sa fidélité ou de sa non-fidélité à l'égard de la réalité. Un faux en peinture était faux parce qu'il mentait sur la signature de l'artiste et non sur la conformité au réel suggéré. 

Les Deux réponses de la Peinture. La première réponse fut l'Impressionnisme, l'Expressionisme, le Réalisme (avant d'être Sur- puis Hyper-) et pour faire court l'Abstraction qui prendra définitivement ses distances avec le réel et plus exactement avec le réel extérieur à la réalité picturale. Avec le temps s'est imposée, petit à petit, l'idée que toute oeuvre même dite figurative était abstraite et n'était en somme "rien que de la peinture jetée sur la toile" dans un jeu de formes et de couleurs. La seconde réponse de la peinture à la photographie fut de suivre un chemin parallèle néanmoins parsemé d'intrusions fréquentes de l'une dans le champ de l'autre. Certains tableaux du Caravage serviront de point de départ à des photographies telles les photos-tableaux de La Pietà du Kossovo de Georges Morillon en 1990. Nombreuses furent les photographies qui serviront de point de départ dans les années 1980 aux peintures de la Narration figurative de Gérard Fromanger allant de la drolatique France coupée en deux au fascinant Maroc. Pendant ce temps, depuis les années 1970 aux USA, la Peinture hyperréaliste visait à reproduire le plus minutieusement possible des objets à partir de la photographie et mieux que n'aurait pu le faire le plus précis des clichés photographiques. 

 

 

L'HYPERREALISME OU CECI N'EST PLUS UNE PHOTOGRAPHIE

Né aux USA avec les années 1970 avec des artistes tels Charles Sheeler, l'Hyperréalisme touchera l'Europe dans la décennie suivante avec entre autres Peter Klasen. Restant plus une "sensibilité" qu'un véritable "mouvement", il empruntera au Pop art l'iconographie de la vie quotidienne et à l'Art Figuratif sa représentation de l'image du réel. L'oeuvre commence avec l'image photographique initialement réalisée par l'artiste puis continue dans son engagement total soucieux de rendre avec une méticuleuse exactitude la forme, la couleur dans la subtilité d u choix d'un point de vue, d'un cadrage, du jeu de la lumière et de l'ombre et enfin du respect des distances entre les éléments de la photographie et ceux reproduits sur la toile. C'est le retour à la peinture de chevalet et au pinceau pour donner un gros plan très détaillé d'une partie de l'ensemble ou en agrandissant démesurément un sujet pour le désolidariser de la réalité environnante. Un vrai Travail de bénédictin ou A labour of love! 

 

Il a été reproché aux Hyperréalistes d'utiliser l'appareil photographique. Que n'a-t-on dit à Leonard de Vinci quand il a imaginé sa camera oscurata laissant les images des objets éclairés pénétrer par un petit trou dans une chambre obscure et donner une image plus petite et inversée de l'objet sur une feuille blanche. Vermeer et Canaletto en furent de grands utilisateurs. Que n'a-t-on dit du Caravage, de Van Eyck et Ingres d'avoir utilisé la camera lucida dont le dispositif optique à l'aide d'un prisme permettait le dessin de l'objet choisi dans sa perspective. De plus la photographie longtemps considérée comme le témoin le plus fidèle du réel est devenue capable de tout mais incapable de fidélité. Michelangelo Antonioni et David Lynch cinéastes, peintres et photographes, ont illuminé ce problème avec deux chefs d'oeuvre. Avec Blow up en 1966, la réflexion d'Antonioni sur l'image photographique dans sa quête de vérité est fascinante. Un photographe de mode après avoir développé les clichés d'un couple pris au hasard dans un parc londonien, découvre au fur et à mesure des agrandissements un cadavre dissimulé sous les branches. A ce stade le grain de ses clichés finit par ressembler à, celui des toiles de son ami peintre. La réflexion de Lynch dans Blue Velvet, vingt ans plus tard, est presqu') allée jusqu'à l'Hyperréalisme dans son lent panoramique partant d'un ciel bleu azur vers la blancheur éblouissante d'une barrière de jardin, le vert-Babar du gazon et le rouge incandescent des roses que la caméra focalise avant que le drame n'éclate. Avec ces deux films il apparait qu'on ne peut connaitre le réel qu'en allant au-delà des apparences de l'image en évitant de s'y enfoncer jusqu'à la mort. Quoiqu'on ait pu en dire, ce n'est pas la photographie ni la chambre obscure ni la chambre claire ni les images de synthèse ni les futurs outils de création qui posent problème. Ce qui pose problème c'est l'oeuvre d'art à l'instant où une technique accouche d'une production poétique capable de modifier notre perception du monde. Comme cela s'est vérifié avec le temps, l'apparition d'une nouvelle technique s'est toujours accompagné des chefs d'oeuvre lui correspondant. Mais ce n'est pas la technique qui différencie les artistes hyperréalistes entre eux mais le choix de leurs thèmes privilégiés. Agathe Verschaffel dès le début du XXI ème a porté le sien sur les friches industrielles de Calais, ses usines de dentelles abandonnées, Au pied des marches des grues de son port où enfant elle jouait avec une seule envie, y grimper. Peut-être est-ce la raison de ses images en contreplongée du sol vers le ciel! De cela sont nées la série des Bourgeois de Calais de 2007 en noir-bleu , la série Usine Boulart de 2005 à 2010 dans les noir-bleu et gris, la série Méca Leavers de 2008 à 2010 sur les métiers à dentelle en rouge et gris, la série Grues Portuaires de 2009 à 2010 en rouge et en noir et jaune (celui des Tournesols de Van Gogh?), la série Cuves de 2011 en rouge. Pour cela elle n'a pas utilisé de chambre obscure ni de chambre claire mais un appareil numérique de son temps. Ses photographies sont en couleur et sont ensuite travaillées pour devenir à la fois noires, blanches et grises tout en y associant qu'une seule couleur rouge ou jaune. Les outils actuels le permettent mais c'est sa main qui va dessiner, c'est son oeil qui va choisir la couleur. C'est son imaginaire qui va offrir à notre imaginaire de nouvelles images, de nouveaux mystères possibles et plausibles qui au niveau de nos sens et de notre esprit échapperont au réalisme de la vérité scientifique pour rejoindre celui de la vérité poétique qui reste l'abstraction de la réalité. Pour cela nous ne pouvons rester au "déjà connu" et "bien connu". Il nous faut accepter de faire le saut dans l’inattendu, le provocant, en un mot le bizarre pour bouleverser nos points de repères. Par sa perfection technique, elle n'a pas seulement à peindre son temps mais aussi à en extraire la "beauté mystérieuse" qui ne se montre pas d’elle-même pour que nous puissions avoir le sentiment de pouvoir accéder à une vérité fugace. Regardez l'Intrus dans Plein phare sur Boulart et vous verrez l'importance de ce lampadaire. 

 

LA MUSIQUE ET L'HYPERREALISME D'AGATHE VERSCHAFFEL 

En découvrant, une à une ses toiles, la musique qui m'est venue à l'esprit, est celle du compositeur français d'origine italienne, Edgar Varese, disparu en 1965. Et plus particulièrement celle de Density 21,5 et de Déserts. (Edgar Varese. The Complete Works. Riccardo Chailly. Concertgebouw d'Amsterdam.2Cds Decca.460 208-2). C'est au décours du choc visuel, déclenché par La Nina de la série Architecture et bidonvilles de 2007, que s'est imposé Density 21,5. Composé par Varese, en 1936 à l'orée de la grande nuit de sa crise créatrice avec la destruction de ses précédentes partitions, Density 21,5 pour flûte seule est peut-être le cri déchirant de peur voire de douleur de cette petite fille qui, dans le rouge-sang de sa robe, fuit le danger rôdant partout. Avec cette monodie exprimée par la flûte, le plus tendre, le plus fragile, le plus intime des instruments de musique, s'élève une plainte lancinante et pure jusqu'au fortissimo, éperdu dans l'extrême aigu, de la soixante et unième et dernière mesure de ce joyau sonore de 4 minutes. 

C'est dans un brouhaha d'indignation, digne de celui du Sacre du Printemps de Stravinsky en 1913, que Déserts a été créée aussi à Paris en 1954. Ces 25 minutes de musique méditative opposent plans et volumes dans un inexorable mouvement crée par les tensions de sons remplaçant les notes dans leurs différentes intensités. Pour cela Varese a fait appel à quinze instruments traditionnels associés à une musique concrète et électronique enregistrée sur bande magnétique. Ces Déserts, composés après les quinze années de silence qui ont suivi la destruction de ses premières compositions, sont pour Edgar Varese ceux que tout artiste peut traverser. Des déserts physiques comme ceux de la nature ou des villes, "des déserts de l'esprit avec leur lointain espace intérieur qu'aucun télescope ne peut atteindre" et où l'artiste est seul parfois aux portes du suicide. Quand Edgar Varese parlait de nature il parlait de la ville de New-York où il avait le plus vécu. Dans cette ville, ajoutait-il, il y a des enfants, peut-être comme La Nina en robe ou en chemise rouge-sang, qui certainement n'ont jamais vu un ruisseau, jamais entendu le chant des oiseaux, les bruits et surtout les silences de la campagne. Mais ils sont familiers avec les vrombissements des avions, le bruit des automobiles, les sons industriels et avec tout ce qui se passe dans une métropole comme New York. "Pour eux c'est peut-être ce qui représente les bruits de la nature, le milieu dans lequel ils vivent et les choses à travers lesquelles ils réagissent". Regardez Silence, cette peinture acrylique sur toile de 2010, de 194 cm sur 114cm de la série Usine Boulart, Sur cette ruine industrielle de la dentelle calaisienne, vous découvrirez de vivaces fougères émergeant d'une gouttière, telle une ligne de vie au milieu d'un Désert mort de vitres brisées et de briques épuisées dans le noir-bleu et le gris. Ces branches et ces feuilles vertes annoncent un avenir, en l'occurrence celui du superbe Musée de la Dentelle de Calais construit en lieu et place. 

 

Jean Marie ANDRE

Texte publié dans le Côte d'Opale Magazine n°53 d'octobre -novemmbre 2011.

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