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Les Cent CAPS d'Agathe Verschaffel

 

 

 

Barcelone. Novembre 2012. Musée Miro. Lawrence Weiner, artiste américain, né en 1942, leader de l'Art Conceptuel, y expose Two minutes of spray paint directly upon the floor from a standart aerosol spray can. Lawrence Weiner a pulvérisé un aérosol de peinture dans un nuage coloré verdâtre sur un sol bétonné. Un flash me traverse alors l’esprit. En octobre 2011, Agathe Verschaffel m’a un jour montré ses premiers Caps de 30 cm par 30 cm. Ce fut un choc mais n'oublions pas qu'elle est née à vol de mouette des Caps  Blanc et Gris Nez! Je lui ai alors promis d'une part de faire un article sur cette série thématique et d’autre part de garder le silence jusqu'à ce qu'elle tienne son cap et atteigne son objectif des cent Caps. Un discret usage de l’IPhone puis l'envoi d'un MMS d’encouragement à Agathe ont suivi! Weiner "projette" en artiste américain tandis qu'Agathe" peint " en amont des Caps d'aérosols qui auraient eu leur place dans cette exposition. Deux ans plus tard me voici préfacier du Catalogue de sa nouvelle exposition avec le sentiment d'être le porte étendard d'une équipe de Cent caps à la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de la peinture en particulier et de l'art en général, dans la liesse, la joie, l'enthousiasme, la couleur et la musique. Sentiment d'autant plus plausible que le musée Miro n’était qu’à quelques centaines de mètres du stade Olympique de Barcelone!  Quoiqu'il en soit, ses  admirateurs seront peut être surpris par ce qu'est l'essence même  d'une série mais se réjouiront indubitablement de découvrir  les  Caps  de cette série.

 

Calais. Au début de ce XXI ème siècle, Agathe Verschaffel  a photographié et peint méticuleusement entre le Pop Art de Roy Lichtenstein et d’Andy Warhol et son iconographie du quotidien et l'Art Figuratif et sa représentation du réel. Ce fut alors pour elle, cette fabuleuse déambulation entre les contreplongées sur les Grues Portuaires dans la luxuriance des rouges, jaunes, blancs, noirs et gris et entre les friches industrielles dentellières abandonnées dans un Désert mort de vitres brisées, de briques épuisées. Une quête dans un Silence noir-bleu et gris au pied d'un lampadaire, réduit à la nuit, dans l'émergence d'une vivace fougère verte d'une gouttière ayant survécu au naufrage. La querelle entre la valeur de la peinture et celle de la photographie est née immédiatement avec l'apparition de la photographie au milieu du XIX éme siècle. On s'est alors épuisé en vaines subtilités pour décider si la photographie était un art sans se poser, avec Walter Benjamin vers 1930, la vraie question de savoir, si la" photographie ne venait pas de transformer le caractère général de l'art". Pour Agathe Verschaffel  tout cela lui semble dépassé et entre peinture et photographie, elle a choisi l'association des deux dans un seul et même médium, la peinture.

 

Avec ses cent Caps, Agathe Verschaffel ne change rien à son approche hyperréaliste de la réalité, elle a simplement modifié le pouvoir séparateur de son acuité visuelle. Elle pénètre dans l'infiniment petit pour nous faire voir avec hyperréalisme une abstraction, sans bas ni haut, sans droite ni gauche, une abstraction la plus pure, la plus lyrique, la plus joyeuse. Un hyperréalisme allant au plus profond de la matière que seuls auraient pu nous révéler les spectro-photographes du CEA [Commissariat à l'Energie Atomique], autres appareils photographiques, mais de l'infiniment petit, bien ancrés dans l'imaginaire d'Agathe Verschaffel. Ces outils actuels le permettent mais c'est sa main qui toujours dessine et peint après que son œil a choisi les couleurs. C'est son imaginaire qui va nous offrir de nouvelles images, de nouvelles interrogations possibles et plausibles qui dans notre esprit et nos sens échapperont au réalisme de la vérité scientifique pour celui d'une réalité poétique, refuge de l'abstraction du réel. Il va nous falloir accepter de faire un saut dans l'inattendu, le "bizarre" qui va ainsi bousculer nos repères. Agathe Verschaffel par sa perfection technique arrive à transformer le banal de notre existence et à en extraire toute sa fugace "beauté mystérieuse".

Série ou variations? Les tableaux n’ont jamais prétendu à être contemplés par un seul spectateur car la peinture n’est pas en mesure de fournir matière à une réception collective simultanée massive hormis celle des grandes expositions, des retransmissions télévisées ou cinématographiques. Mais déjà Léonard   de Vinci avait bien perçu la chose en disant que la peinture, parce qu’elle n’est pas, si tôt créée, forcée de mourir à chaque fois, domine l’infortunée musique qui elle s'évapore à mesure qu'elle naît, tout en restant inférieure à la peinture rendue éternelle par l'emploi du vernis! Il est du principe d’une œuvre d’art d’être toujours reproductible. Ce qu’un artiste a fait, d’autres pourraient le refaire. Les grecs copiaient les terres cuites, les bronzes et monnaies. Il y eut ensuite la gravure sur bois, l’imprimerie, la lithographie, la photographie et la cinématographie. L'apparition de ces nouvelles techniques s'est toujours accompagnée de chefs-d'œuvre leur correspondant, car c'est le choix des thèmes privilégiés par les artistes qui les différencie et non leur technique. Mais à la plus parfaite reproduction d'une série, il manquera toujours une chose pour Walter Benjamin, le hic et nunc de l’œuvre d’art à savoir l’unicité de son existence au lieu où elle se trouve, constituant son authenticité. Bien que ces Caps  aient  une silhouette stricte et géométrique, Agathe Verschaffel  échappe à la série car chaque élément est unique et authentique pour devenir une variation, à l'image sonore de celles des Variations Goldberg de Jean Sébastien Bach. Presque semblables mais tous différents sans parler des neuf Caps, d'1m sur 1m, associés au "Vaisseau Amiral" de la série, d'1,5m sur 1,5m et aux 90 autres de 30 cm sur 30 cm! Ses Caps deviennent des capteurs tournés vers les espaces infinis du Cosmos qui ne nous effraient plus! Tout y explose comme dans Nocturne-La fusée qui retombe de Whistler, accusé en son temps par Ruskin "d’avoir jeté un pot de peinture à la tête du spectateur"! Chez Agathe Verschaffel  toutes les couleurs s’y retrouvent jusqu' au "Rose des maniéristes flamands" ou au "Rose Poliakoff", toutes les formes d’abstraction s’y côtoient. Mais d’autres verront dans cette explosion de couleurs des galaxies en formation, des neurones embryonnaires voire des réseaux optiques de diffraction!

 

Agathe Verschaffel grandit inexorablement à l'instar d'Alice, il ne me reste plus qu'à vous souhaiter un voyage aussi excitant que stimulant dans son pays des merveilles sous le regard attendri du Captain Cap de l'humoriste Alphonse Allais!

 

 

Jean-Marie André - Octobre 2013

Rédacteur en chef de Médecines et Culture - Revue HEGEL

Rubriques Artistiques - Revue Côte d'Opale Magazine

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